Art Paris Art Fair 2021 – Focus sur le volet “Portrait et figuration” de la Foire
Depuis 2018, Art Paris soutient la scène hexagonale en associant le regard subjectif, historique et critique, d’un commissaire d’exposition à la sélection de projets spécifiques d’artistes français proposés par les galeries participantes. Pour cette édition 2021, c’est au tour d’Hervé Mikaeloff, commissaire d’exposition indépendant, de livrer son regard sur la scène française. Son thème Portrait et figuration. Regard sur la scène française réunit une sélection de vingt artistes autour de la question du portrait et du renouvellement de la peinture figurative en France.
“J’appartiens à une génération de critique d’art et de commissaire d’exposition qui a fait ses études dans les années 1990. À cette période, la peinture figurative française n’avait pas “bonne presse”, elle était même rejetée de certaines Écoles des Beaux-Arts, voire de collections muséales. Alors que les peintres continuaient à travailler en Allemagne ou aux États-Unis, la peinture était quasiment bannie dans l’Hexagone.
En 1995, je rejoins l’équipe de mécénat de la Caisse des dépôts pour m’occuper d’un programme d’aide à la production d’artistes français ou vivant en France. Ma rencontre avec le travail de Djamel Tatah fut un déclencheur. En réalisant un grand tableau qu’il intitulera Femmes d’Alger, clin d’œil à Eugène Delacroix mais surtout hommage à la révolte et la résistance des femmes algériennes dans les années sombres de la fin du XXe siècle, Djamel Tatah, à partir de la représentation des figures humaines, réalise une peinture métaphysique.
À la même époque, je rencontre Yan Pei-Ming à Dijon. Après un début de carrière en Chine, il arrive en France et produit des peintures qui allient ses références aux portraits réalistes à une peinture gestuelle et expressive. Il exécute de monumentaux tableaux à la fois autobiographiques mais aussi en hommage à des grands peintres comme Gustave Courbet (exposition Yan Pei-Ming/Courbet, Corps-à-corps au Petit Palais du 12 octobre 2019 au 19 janvier 2020).
Pendant le premier confinement, Ming revient aux autoportraits masqués, exposés à Art Paris : allusion directe à la pandémie mais également à la solitude de l’artiste dans son atelier face à sa toile. Pour Art Paris, j’ai sélectionné 20 artistes de différentes origines et de différentes générations qui montrent un panorama éclectique et foisonnant du portrait figuratif de la scène française en 2021.
Artiste incontournable de la scène française, Marc Desgrandchamps fait ses études aux Beaux-Arts de Paris dans les années 1970. Il est souvent cité comme référence par la jeune génération. Ses peintures mélangent abstraction et figuration. Sa technique de superpositions et transparences visuelles laisse apparaître les traces mémorielles d’images oubliées. Ses peintures silencieuses et muettes nous amènent pourtant à un récit proche de celui du Nouveau Roman. La réalité de ses peintures est souvent fragmentée.
Questionnement sur la “réalité de la peinture” que l’on retrouve également chez Laurent Grasso. L’artiste explore depuis plus de vingt ans nos perceptions du monde, aussi bien à travers ses films qu’avec ses peintures qui nous font voyager dans le temps. En tentant de reconstruire l’histoire, Laurent Grasso nous plonge dans un futur antérieur qui aboutit à une mythologie contemporaine. La question de l’identité et du genre est aussi très présente dans cette sélection.
Marcella Barceló met en scène la figure d’une jeune femme évanescente qui déambule dans un univers flottant, fortement influencé par ses séjours au Japon.
À travers des sujets empruntés à la mythologie ou à l’histoire comme Saint Georges terrassant le Dragon ou pour Art Paris le cruel et flamboyant personnage de Henry VIII, Alex Foxton questionne une certaine vision de la masculinité.
À l’inverse, Marjane Satrapi représente des femmes. Artiste pluridisciplinaire Marjane Satrapi peint comme elle vit. Sa peinture est intuitive. Le trait y est puissant. Les aplats et les couleurs aussi. La représentation des scènes évoque des compositions de Hopper sans volonté d’appel à un récit mais en soulignant son attirance pour le Pop Art dans un monde intemporel.
Nazanin Pouyandeh et Madeleine Roger-Lacan sont des peintres de l’inconscient. Les œuvres de Nazanin Pouyandeh sont des “images mentales” qui appellent aux fantasmes chimériques. Ana Karkar met en scène un récit visuel du corps féminin. Les œuvres de Madeleine Roger-Lacan sont faites d’assemblages d’objets, de mots et de peintures figuratives. Elle souhaite : “créer un choc perfectif fluide qui atteint directement l’intériorité profonde de celui qui les regarde”.
L’univers poétique de François Malingrëy dépeint un monde à la fois étrange et familier. Il s’emploie à nous mettre à distance tout en provoquant chez le regardeur une curiosité attractive. Il peint l’homme pour mieux décrire l’humanité.
Claire Tabouret nous donne l’illusion du mouvement avec une image fixe. Ses portraits sont des arrêts sur images. Le monde est comme suspendu. L’artiste peint aussi ce qu’elle ne voit pas en captant une autre dimension du réel.
Jérôme Zonder poursuit sa réflexion sur le statut de l’image ou le dessin organique apparaît conjointement avec le dessin numérique.
Alin Bozbiciu, peintre roumain issue de l’École de Cluj, en Roumanie revendique un retour à la figuration et à l’Histoire. De facture expressionniste, ses personnages se déplacent sur la toile comme des danseurs sur une scène.
Guillaume Bresson, comme Arnaud Adami, composent des scènes urbaines contemporaines en nous plongeant dans un hyperréalisme fictionnel. Les œuvres de Guillaume Bresson sont des chorégraphies contemporaines qui puisent leur inspiration dans des tableaux classiques alors que les portraits intimistes d’Adami reflètent la précarité de notre société.
Bilal Hamdad peint des scènes de genres ou des portraits représentatifs du témoignage social de notre temps. Ses œuvres sont une traversée mystérieuse du quotidien.
Dorian Cohen décrit, lui, des scènes de genre de la vie quotidienne. Par son réalisme naturaliste, il convoque aussi bien le récit balzacien que le Caravage ou Georges de La Tour dans sa manière de reproduire ombres et lumières. Il met en scène ses personnages en gardant le récit énigmatique, où douceur et drame peuvent se côtoyer. Ce qui lie ces artistes, c’est d’abord un hyperréalisme des personnages, une critique de la société, un “déterminisme social”, une fenêtre sur notre manière d’habiter le monde. On peut aussi parler d’un témoignage d’un temps social. Une “photographie du monde”, de l’espace dans lequel ils vivent. Leurs peintures nous confrontent à une réalité sociale du quotidien.
Des images collectées depuis les années 1990 par Jean-Luc Blanc, issues aussi bien de la presse, de la publicité que de photographies vernaculaires, reprennent une autre vie grâce à la peinture.
Chez Thomas Lévy-Lasne comme chez Rose Barberat, les photographies ne sont que des outils qui permettent de construire leur sujet. Même si la peinture du réel exprime le réel, le choix même de ce médium est une manière de transcender ou de figer une image que l’on aurait pu percevoir comme anecdotique. À l’époque où les images ne sont plus que flux d’informations ou de désinformation, où le confinement mental et physique nous détache du réel, la peinture affirme la matérialité du monde. Elle est un antidote à la désincarnation du monde. Elle transcende le réel. Rose Barberat nous plonge dans un univers monochrome pour mieux nous attirer dans son monde que l’on imagine autobiographique. Ses peintures sont comme des objets de contemplation. Elles créent un trouble car elle questionne le rapport au réel.
Au delà d’un simple effet de style le portrait figuratif permet aux artistes de construire un nouveau rapport au monde, de créer une brèche dans le réel. Il est à la fois étendard des différences et instrument d’ancrage. Représenter l’humain, c’est finalement nous renseigner sur nos propres responsabilités.”
Texte d’Hervé Mikaeloff, commissaire invité
Les artistes sélectionnés
• Arnaud Adami (1995) / H Gallery • Rose Barberat (1994) / Galerie Pact • Marcella Barceló (1992) / Galerie Anne de Villepoix • Jean-Luc Blanc (1965) / Art : Concept • Alin Bozbiciu (1989) / Galerie Suzanne Tarasiève • Guillaume Bresson (1982) / Galerie Nathalie Obadia • Dorian Cohen (1987) / Galerie Paris-Beijing • Marc Desgrandchamps (1960) / Galerie Lelong & Co • Alex Foxton (1980) / Galerie Derouillon • Laurent Grasso (1972) / Perrotin • Bilal Hamdad (1987) / H Gallery • Ana Karkar (1986) / Galerie Hors-cadre • Thomas Lévy-Lasne (1980) / Galerie Les Filles du Calvaire • François Malingrëy (1989) / Galerie Le Feuvre & Roze • Yan Pei-Ming (1960) / Galerie Thaddaeus Ropac • Nazanin Pouyandeh (1981) / Galerie Sator • Madeleine Roger-Lacan (1993) / Galerie frank elbaz • Marjane Satrapi (1969) / Galerie Françoise Livinec • Claire Tabouret (1981) / Galerie Almine Rech • Jérôme Zonder (1974) / Galerie Nathalie Obadia
[Source : communiqué de presse]
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